Pouvez-vous faire une rapide présentation de votre parcours ?

J‘ai débuté ma carrière dans l’édition d’encyclopédies et de dictionnaires. J’ai vécu pendant une dizaine d’années chez Hachette la première vague du numérique qui a consisté à mettre des supports papiers sur CD-Rom. Le CD-Rom a été un média de transition, et il a permis les premières expérimentations du numérique, les premières recherches en texte intégral. Avec le tournant de l’an 2000, le web a proposé de nouvelles fonctionnalités beaucoup plus puissantes.

En 2005, j’ai entendu parler du projet « Google livres », né en 2004 – 2005. Son principe était de permettre la recherche dans un corpus multilingue très important, cela m’a paru extrêmement intéressant. J’ai posé ma candidature tout simplement chez Google et j’ai été retenu pour m’occuper du marché français de « Google livres », moteur de recherche dans le livre. J’ai travaillé aussi en lien avec les marchés espagnols, russes et néerlandais. Depuis cette année, « Google livres » s’est enrichi d’un versant de ventes de livres numériques pour tablettes et téléphones, qui s’appelle « Google Play Books ».

Quel est l’enjeu principal de la numérisation du livre selon vous ? Le droit d’auteur ou les mutations apportées à l’objet livre ?

Un des enjeux que notre projet a soulevé est l’idée qu’au fond les personnes qui effectuent des recherches sur internet ont envie d’avoir une approche exhaustive de l’information. Autrement dit, quand ils font une recherche, ils se disent : « j’aimerais vraiment que le moteur de recherche m’aide à trouver tout ce qui traite du sujet qui m’intéresse ». Et, au fond, pas simplement de l’information qui est déjà en ligne, celle des blogs, celle des sites web, celle de Wikipédia. Mais un utilisateur veut aussi qu’on puisse lui dire que ce livre parle de tel sujet. C’est extrêmement important parce que la connaissance accumulée est dans les livres, elle est pas simplement dans les archives de journaux, dans les thèses, déjà en ligne. On peut même penser qu’il y a une minorité de l’information qui est en ligne, et une majorité de l’information qui est analogique. Un moteur de recherche qui veut faire correctement son métier doit aussi être inclusif, c’est-à-dire qu’il pense à référencer les objets analogiques que sont les livres, les thèses universitaires et les archives de journaux. D’où ce projet « Google Livres » qui était de permettre aux livres du domaine public – libres de droits – du 19ème, du 18ème, du 17ème siècle et avant, d’être numérisés, en partenariat avec la bibliothèque Google. De cette manière, ces livres feront aussi partie du corpus interrogé.

Le deuxième objectif était de permettre aux éditeurs de nous confier des livres pour que nous puissions les référencer. Ainsi, si un livre du 20ème siècle parle de tel sujet, lorsque le moteur l’interroge, il pourra être intégré dans le champ indexé par Google. Nous avons travaillé avec 20 000 éditeurs du monde entier dans le but de référencer cette information. Ensuite, l’idée était de rediriger l’internaute vers le site de l’éditeur ou vers un libraire pour qu’il puisse acheter le livre.

Depuis 2010, nous avons lancé un service de vente de livres numériques. C’est là que se situe la vraie mutation : on ne reste pas au stade de la recherche bibliographique, même si elle est faite sur Internet, le but est d’aller aussi vers une dématérialisation de la lecture. Cette dernière mutation s’est affirmée depuis le début du millénaire, avec une accélération à partir de 2007-2008, et un décollage en France en 2011-2012.

Vos livres sont vendus uniquement avec DRM (on ne peut pas les prêter, un livre = un utilisateur). Pourquoi ce modèle économique prévaut-il ?

Le fait de mettre des DRM n’est pas, en tant que tel, un modèle économique. C’est l’éditeur qui choisit ou pas de mettre des DRM : il y en a qui choisissent de ne pas en mettre, et d’autres qui choisissent d’en mettre. Nous vendons les deux types de livres. Notre service a des conditions d’usages (« terms of service ») dans lesquelles nous parlons d’un usage personnel du livre. Nous n’avons pas reçu des éditeurs le droit du prêt, et nous le signalons à l’internaute. De cette façon, lorsque l’internaute commence à lire, c’est en connaissance de causes par rapport à cet usage personnel.

Cela ne veut pas dire que d’autres usages ne peuvent pas se développer. Mais je pense que le livre numérique est une telle mutation (la lecture est différente, le mode d’acquisition est différent). Dès lors, il s’agissait d’y aller étape par étape. Il est facile d’imaginer que certains types d’éditeurs peuvent être intéressés par de nouvelles fonctionnalités. Par exemple, nous avons introduit récemment la possibilité de pré-commander un livre : je sais qu’un livre va paraître dans deux mois, je lis un article sur ce livre, je veux être sûr de penser à acheter ce livre, je peux alors le pré-commander. L’avantage est que je ne serais débité qu’au moment ou le livre sera effectivement disponible. Mais, sans actions de ma part, lorsque je l’aurais pré-commandé, quelques semaines plus tard, il apparaîtra dans mon compte. Cela, me semble-t-il, va dans le sens de ce que souhaite l’internaute, et ça marche très bien. L’internaute est facturé dès lors que son livre apparaît dans la bibliothèque, mais l’achat est enregistré quelques semaines en amont. De cette façon, l’éditeur a moyen de savoir combien de livres ont été pré-commandés. C’est un exemple de fonctionnalité qui montre que les modèles économiques peuvent évoluer dans le sens d’un nouveau service rendu à l’utilisateur, à partir du moment ou l’éditeur (qui est celui qui protège le droit d’auteur, et qui valorise l’œuvre vis-à-vis de l’auteur) est d’accord.

 Allez vous réfléchir et développer d’autres modèles économiques ?Vous proposez déjà un service d’auto-publication avec le Google Books Partner Program ? Quel a été votre but et votre philosophie de manière générale dans la mise en place de ce service ?

Si quelqu’un a les droits d’auteur et les droits numériques sur un ouvrage, il peut – en tant qu’individu – s’inscrire sur « Google Livres » (et même d’ailleurs sur « Google Play ») pour le vendre. Mais nous ne faisons pas en tant que tel un service d’auto-publication. Ce n’est pas le but recherché. Nous pensons qu’il y a un potentiel assez fort de travail des éditeurs de ce point de vue-là.Il y a simplement un outil d’enregistrement en ligne qui permettrait, à ceux qui le souhaitent, de le faire.

Mais les modèles économiques vont évoluer. Le modèle actuel du livre numérique est déjà en train de se développer, et cela va prendre un peu de temps. Je vous rappelle que la pénétration des livres numériques en France est encore inférieure à 5%. Certains éditeurs me disaient que, durant la fin de l’année 2012, pour certains livres, le numériques représentaient 10% du chiffre d’affaires. Ce qui n’est pas négligeable. Aux États-Unis et en Angleterre, certains succès se vendent à 20 ou 30% en numérique.Le modèle n’a pas atteint un niveau de maturité suffisant. Le modèle économique du livre numérique délivré au consommateur – s’acquittant d’un prix, et gardant ce livre dans sa bibliothèque personnelle – est un modèle à développer.

Il faudrait peut-être insister sur cette technologie du nuage numérique (« cloud computing »). Qu’est-ce que ça permet de faire ? J’achète des livres numériques sur ma tablette ou mon téléphone. Et, grâce à mon compte, je vais pouvoir retrouver sur les différents appareils reliés à ce dernier, les livres numériques que j’ai acheté. Autrement dit, si j’achète sur mon PC, je retrouverais sur ma tablette Androïd, ou sur mon I-Pad et I-Phone, le livre numérique que j’ai acheté. Ainsi j’ai l’assurance que ce livre est là aussi longtemps que je conserverais mon compte. Nous ne sommes pas dans un fichier, qu’on ne fait simplement que télécharger, et qu’on perdrait avec la machine qui l’a porté. Nous sommes vraiment dans un droit d’accès au livre numérique permettant toujours de savoir qu’une instance de ce livre est liée à mon compte dans le nuage numérique. C’est une très grande sécurité de savoir qu’un livre n’est pas attaché à un appareil particulier. Il m’arrive souvent de commencer un livre sur ma tablette Nexus 7, et ensuite, dans les transports en communs, de continuer le même livre – en synchronisant au niveau de la page – sur mon téléphone. Il y a donc un caractère très fluide et synchronisé de ce que nous pouvons faire d’un produit à l’autre. C’est assez efficace, et ça représente une nette évolution. Nous ne sommes pas les seuls à offrir ce type de service synchronisé. Mais ça représente un progrès très important par rapport au simple fait de télécharger un e-pub ou un pdf, et de l’avoir une fois sur un pc. Notre service justifie l’investissement dans un livre numérique. Le livre numérique se paye 5, 10, 15, 20 euros selon le choix de l’éditeur, mais l’internaute a la garantie qu’à tout moment, il peut retrouver son livre. Il y a donc une durabilité.

Aujourd’hui, dans l’univers physique, les gens ne jettent pas leurs livres. Même les livres de poches sont gardés. De temps en temps, ils les revendent d’occasion. De la même manière, les technologies du nuage numérique permettent de retrouver les livres sur les différents appareils. Que je sois sur PC ou mac, Ios ou Android, je vais pouvoir retrouver mon livre..C’est important ! Quand vous faites des études de Médecine, par exemple, en 1ère année, vous allez devoir acheter un livre assez onéreux d’Anatomie, vous êtes content 10 ans plus tard de le retrouver. Comme nous en sommes au tout début, nous n’en voyons pas encore les bénéfices. Mais si vous achetez un livre sur Google Play, dans l’avenir, vous le retrouverez. Et ça, ça a de la valeur !

 (source : http://blog.sanspapier.com/les-interviews-du-numerique-philippe-colombet-directeur-des-partenariats-google-livres/)

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mai 10, 2013

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