Bonjour lecteur,

avant de lire l’interview, tu es invité à expérimenter la bande-dessinée interactive d’Anthony Rageul, « Prise de tête » .

 Votre proposition concernant la BD interactive est la suivante : « une réduction maximale du récit et du graphisme, et donc un flirt avec la frontière de la bande dessinée interactive, permettra d’utiliser l’interactivité de manière expressive et sémantiquement riche, en lui donnant alors une grande place dans la narration, la construction du récit et du sens ». Autrement dit, un environnement minimaliste agit comme une contrainte génératrice permettant que chaque interaction ne soit pas accessoire, et produise du sens. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette idée, et sur sa genèse ?

C’est moins une proposition pour la bande dessinée numérique qu’une méthodologie de travail employée alors dans le cadre de mon Master. L’idée était de voir si des dispositifs interactifs pouvaient, comme je le pensais, faire sens. Et pour cela, j’ai pensé que, peut-être fallait-il que « le reste » ne soit déjà pas trop chargé sémantiquement, de manière à laisser une plus grande place aux dispositifs interactifs, à me laisser une plus grande marge de manœuvre dans l’emploi de ces dispositifs. Cela avait aussi deux autres buts. Le premier de rompre avec la bande dessinée numérique qui parle de bande dessinée numérique, ce dont je sortais avecAldwin et Caboche réalisé en 3è année. Le second de pouvoir réintroduire dans ma création numérique ce dessin fait de pictogrammes. Je l’employais d’abord sur papier, et quand s’est posé la question du projet de Master, j’ai mis beaucoup de temps à voir (grâce à mon directeur de recherche) que ce dessin était totalement destiné à la bande dessinée numérique (je devais être bien aveuglé !).

Dans la bande-dessinée « Prise de tête », l’accès à l’interactivité est médiatisé par la souris, pour atteindre les pictogrammes avec lesquels on peut interagir. Vous faites la différence entre deux niveaux d’interactivité : exogène (cf. dispositif de lecture, fenêtre, navigateur, etc..) et endogène (cf. interactivité intégrée, productrice de sens). N’y a-t-il pas moyen de simplifier l’interactivité exogène en la lisant sur tablette ou la souris est remplacée par le doigt de l’utilisateur ? Autrement dit, les nouvelles technologies nous permettent-elles de fondre l’interactivité du dispositif de lecture, dans l’interactivité intégrée, productrice de sens ?

Je suppose que tu parles là de l’article sur Du9. Je pense que ce que j’ai dis alors s’applique également à la tablette et que tu fais une confusion dans ta question. Sur tablette, l’écran tactile fait que l’on agit avec les doigts directement dans l’image. Mais bien que le dispositif fasse « partie de l’image », pour le dire grossièrement, il n’en est pas pour forcément endogène ni intégré au récit. S’il ne sert qu’à passer à la page suivante ou à zommer/dézoomer, dans ce cas précis il n’est même ni l’un ni l’autre. Après, que l’écran tactile puisse « faciliter » l’utilisation de dispositif agissant directement dans le récit (endogène) et y impliquant fortement le lecteur ou faisant sens (intégré), je ne sais pas… Je n’en suis pas si sûr, au sens où le plus difficile est précisément de rompre avec les habitudes, les usages standards des outils standards. Et sur les tablettes, la « tactilité » sert avant tout à naviguer, ce qui reste un niveau extérieur au récit. Bien sûr, on peut aussi tenter d’autres choses. Par exemple j’aurais vraiment aimé être en mesure de faire de Romuald et le tortionnaire une application pour tablette, dans laquelle, du doigt (de dieu torturant sa création) on aurait agit directement dans la vie de Romuald. Mais le principe même de Romuald fait du dispositif un endogène (agit dans le récit) intégré (en modifie fortement le déroulement), y compris avec la souris dans la version web. Je rêve aussi de voir l’Epinard de Yukiko de Fred Boot, d’après Boilet, bd en Shockwave, repensée pour la tablette : caresser le modèle, non plus par le truchement de la souris, mais réellement, du bout du doigt, que l’on glisserait dans ce petit « épinard » (le nombril)…

Durant le Festival d’Angoulême, vous avez été approché pour des projets autour de la Bande-dessinée numérique. Quels sont ces projets ? En quoi consistent-ils ? Avez-vous vu des initiatives intéressantes en terme de bande-dessinée numérique dernièrement ?

 En ce qui concerne les projets… pour moi ce n’en sont pas encore ! Tant que rien n’est commencé, qu’on a juste parlé, il n’y a rien. Il est vrai que j’ai été approché par plusieurs personnes représentants différentes « institutions » (au sens extrêmement large), mais on a fait que causer pour l’instant. C’est le jeu des festivals, qui permettent de rencontrer et échanger. En ce qui concerne les initiatives, le simple fait qu’elles se multiplient cette année est déjà génial. Voir autant de nouveautés (Mauvais EspritProfesseur CyclopeLa Revue Dessinée, etc.) et d’acteurs enthousiastes et impliqués (jusqu’à notre Balak national « débauché » par les américains)… Mais je pense que tant qu’on en reste, et même qu’on recherche, le « consensus technologique », c’est-à-dire des formats standards et des modes de narration standards, on passera toujours à côté du potentiel de ces outils. Et finalement, sur les innombrables formes et formats possibles, une pincée seulement resteront. Or, c’est tout ce qui ne reste pas qui m’intéresse : le possible ! Pour moi, ce possible se trouve dans la forme narrative/interactive inattendue, et passe par le détournement de l’outil existant ou, mieux, la création d’outils spécifiques propres non seulement à chaque auteur, mais à chaque histoire.

Au revoir lecteur,

si tu as apprécié l’interview, je t’invite à découvrir le mémoire d’Anthony Rageul ,« Bande-dessinée interactive : comment raconter une histoire ? »

(source : http://blog.sanspapier.com/les-interviews-du-numerique-anthony-rageul-doctorant-en-arts-plastiques-a-luniversite-de-rennes-2-theoricien-de-la-bande-dessinee-numerique/)

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mai 10, 2013

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