Cette interview est réalisée à partir des observations et des conclusions de la mission Sirinelli sur le contrat d’édition à l’heure du numérique .

Dans le nouveau contrat d’édition numérique négocié entre le Syndicat National de l’Édition et le Conseil permanent des écrivains, des délais de publication d’une œuvre sous forme numérique ont été instaurés ainsi que les critères permettant d’en apprécier l’obligation d’exploitation permanente et suivie par l’éditeur. Ces critères sont :

Ces clauses paraissent être des exigences qui laissent la part belle aux éditeurs. Concrètement, de quelles manières les auteurs vont pouvoir défendre leurs droits (cf. mettre à disposition un fichier sur une plateforme, c’est quelque chose qui représente très peu de travail pour un éditeur) ?

Le non-respect de ces obligations permettra à l’auteur de récupérer ses droits sur le numérique. Mais ne pensez-vous pas, par exemple, que si l’auteur reprend ses droits sur le numérique, il ira auto-publier son ouvrage sur des services tels qu’Amazon, qui eux font la promotion de leur format propriétaire (le mobi). En d’autres termes, les créateurs de format propriétaire ne feront-ils pas leur beurre de tout ceux qui récupéreront leurs droits sur le numérique, faute de respect de l’obligation d’exploitation permanente ?

Il est vrai que dans ces accords, l’obligation d’exploitation permanente et suivie de l’œuvre sous forme numérique est définie de manière assez peu contraignante pour l’éditeur, qui pourra la satisfaire sans trop de peine. Ce mécanisme de retour des droits à l’auteur ne devrait jouer qu’à la marge, dans des situations de disparition d’un éditeur par exemple, ou de manquement grave à ses obligations.

Néanmoins, le fait d’avoir inclus au titre de l’exploitation permanente et suivie l’obligation d’une diffusion dans un format non-propriétaire me paraît une chose intéressante. C’est une garantie forte pour l’interopérabilité et pour l’ouverture de l’écosystème général du livre numérique. Cela peut contribuer à limiter le développement des stratégies d’intégration verticale qui pourraient tenter certains acteurs.

Maintenant effectivement, rien n’empêche un auteur qui aurait récupéré ses droits d’aller publier son ouvrage par le biais d’un opérateur comme Amazon, utilisant un format non-propriétaire. Mais comme je l’ai dit plus haut, les hypothèses dans lesquels les auteurs vont être en mesure de récupérer leurs droits au titre d’un défaut d’exploitation permanente et suivie de leur éditeur devraient rester assez rares.

A mon sens, la question se pose d’une manière plus générale, et elle tiendra au fait de savoir si les éditeurs proposeront des contrats d’édition équitables aux auteurs, qui dans la négative, pourront être tentés d’utiliser les outils d’auto-édition mis à leur disposition par de gros acteurs comme Amazon ou Apple. Or de ce point de vue, les recommandations de la mission Sirinelli n’offrent que peu de garanties aux auteurs.

Plusieurs des revendications fortes des auteurs n’ont pas été retenues. L’idée d’un contrat d’édition séparé pour l’exploitation numérique (comme cela existe déjà pour l’adaptation audiovisuelle) a été écartée. Elle a cédé le pas face au principe d’un contrat d’édition unique avec deux parties distinctes, l’une pour l’exploitation sous forme imprimée et l’autre pour le numérique. Concernant la question cruciale de la rémunération, le taux reste entièrement à la négociation des parties, l’accord prévoyant seulement que la rémunération doit porter sur l’ensemble des recettes provenant de la commercialisation et de la diffusion numériques de l’œuvre. Enfin, les accords ne prévoient pas de mettre en place dans les contrats des cessions des droits limitées dans le temps pour le numérique, mais une simple clause de réexamen.

Tout ceci signifie que sur tous ces aspects, qui sont pourtant les plus sensibles entre auteurs et éditeurs, c’est la simple négociation qui va continuer à jouer. Du coup, j’ai envie de dire que si les éditeurs souhaitent éviter que les auteurs passent par les circuits d’auto-édition pour publier leurs œuvres, il leur appartient de proposer des contrats qui iront plus loin que ce que prévoient ces accords.

Le problème, c’est que ces dispositions, surtout si elles sont inscrites dans un Code des usages, risquent bien de devenir une sorte de « standard » auquel les éditeurs se réfèreront pour proposer leurs contrats aux auteurs.

A mon sens, il ne suffira pas de s’en tenir à ces mesures pour éviter une hémorragie d’auteurs vers l’auto-édition. Sans compter, qu’il existe d’ores et déjà des éditeurs qui ont des pratiques contractuelles beaucoup plus avancées en terme d’équilibre des droits, comme Publie.net par exemple (partage de rémunération 50/50 entre l’auteur et l’éditeur, limitation réelle de la durée de la cession des droits, etc). J’ai envie de dire que ces accords n’ont pas abordé de front les questions qui faisaient le plus problème et qui restent au premier plan des relations auteurs/éditeurs, comme le montre à nouveau le baromètre qui vient d’être publié par la SCAM et la SGDL ( http://www.scam.fr/tabid/363252/articleType/ArticleView/articleId/7986/Relations-auteurs-editeurs-le-changement-cest-pour-maintenant-.aspx ).

Le contrat d’édition doit comporter une clause de réexamen de plein droit des conditions économiques de la cession des droits d’exploitation numérique. Le réexamen des conditions économiques du contrat doit porter notamment sur l’adéquation de la rémunération de l’auteur, qu’elle soit proportionnelle ou forfaitaire, à l’évolution des modèles économiques de diffusion numérique de l’éditeur ou du secteur.

Pensez-vous que d’or et déjà un examen soit nécessaire ? A l’aune du partage de fichiers (légal ou illégal), des licences Creative Commons qu’induit l’écosystème du numérique dès maintenant, pensez-vous qu’un réexamen des conditions économiques de la cession des droits d’exploitation numérique soit nécessaire ?

A lire les propositions de la mission Sirinelli, on a quand même la sensation très désagréable que cette clause de réexamen constitue en réalité un trompe-l’œil, qui va permettre de perpétuer les pratiques françaises ayant cours pour le papier, à savoir des durée de cession des droits sur toute la durée de la propriété intellectuelle (vie de l’auteur plus 70 ans). C’est à mon sens la plus grande concession qui a été faite par les auteurs dans ce débat et on est frappé du contraste qui va continuer à exister en France par rapport aux pratiques dans les pays étrangers, où déjà pour l’exploitation sous forme imprimée, les droits sont quasiment toujours cédés pour une durée déterminée.

La procédure prévue par les accords est très complexe, puisqu’en cas de désaccord, l’auteur et l’éditeur doivent saisir une commission de conciliation, composée à parité d’auteurs et d’éditeur. Mais l’avis rendu ne lie pas les parties et face au refus de l’éditeur d’accepter une modification du contrat, il faudrait que l’auteur saisisse un juge, ce qui restera complexe et marginal.

Pour répondre plus directement à votre question, il faut bien prendre en compte le fait que ce mécanisme ne s’appliquera qu’aux contrats futurs qui comporteront une telle clause de réexamen. Mais des contrats d’édition numérique se signent depuis plusieurs années à présent, avec des durées de cession très longues et même si le Code de Propriété Intellectuelle est modifié, cela n’aura pas d’effet sur les contrats déjà signés. Les auteurs qui ont signé des avenants présentés par leurs éditeurs, reconduisant à l’identique les conditions du papier pur l’exploitation numérique, auront sans doute bien du mal à faire modifier leurs contrats…

Maintenant, il est clair que la rapidité avec laquelle évolue l’environnement numérique fait que les conditions économiques de la cession des droits devront nécessairement être réexaminés régulièrement. Vous parlez des licences Creative Commons et à mon sens, les auteurs devraient davantage se pencher sur ces instruments, qui permettent d’envisager une circulation des œuvres en ligne, tout en maintenant un certain nombre d’exigences (respect de la paternité, absence de modifications, pas d’usage commercial, etc). Il existe des modèles économiques intéressants, y compris dans le domaine de l’édition numérique, qui peuvent être construits sur ces modes de diffusion maîtrisées, en utilisant les forces du partage plutôt qu’en essayant de lutter contre elles.

Si l’éditeur ne l’envisage pas, c’est à l’auteur de faire accepter le principe du passage de son œuvre sous licence Creative Commons et de l’inscrire dans le contrat d’édition. Cela peut d’ailleurs constituer un excellent moyen pour l’auteur de se réserver certains types de diffusion.

Pour en revenir à cette clause de réexamen, je pense en réalité que dans ces accords auteurs/éditeurs, l’élément le plus intéressant pour les auteurs est ailleurs. La mission Sirinelli a proposé la mise en place d’une clause de fin d’exploitation qui permettra aux auteurs de récupérer leurs droits lorsque durant deux années consécutives, la reddition des comptes fera apparaître qu’il n’y a pas eu de droits versés. Cela me paraît un moyen plus simple et plus efficace pour que l’auteur récupère vraiment ses droits, sans doute davantage que le défaut d’exploitation permanente et suivie.

Ce mécanisme nouveau vaut aussi bien pour l’exploitation sous forme imprimée que numérique et il peut contribuer contrebalancer les cessions des droits à longue durée. Mais il n’est tout de même pas aussi efficace et protecteur pour l’auteur qu’une cession vraiment limitée dans le temps.

« Le bon à tirer des épreuves papier vaut bon à diffuser du livre numérique homothétique, sauf pour les livres imprimés contenant des illustrations, pour lesquels un bon à diffuser numérique est nécessaire. Un bon à diffuser numérique est en tout état de cause nécessaire dès lors que l’éditeur apporte aux épreuves papier des modifications ou des enrichissements autres que ceux nécessaires à l’exploitation numérique ».

Cela traduit-il une inquiétude par rapport à l’hégémonie du livre-application ? Cette méfiance de l’enrichissement numérique ne vient-elle pas, à revers, dévaluer le travail de l’auteur de cet enrichissement ? Est-ce que le bon à tirer numérique ne risque-t-il pas d’entraver une certaine forme de créativité sur l’enrichissement qu’apporte le numérique ?

Je n’ai pas tellement ce sentiment et il me semble que ce principe d’un bon à diffuser numérique était important pour que l’auteur puisse faire valoir son droit moral en matière d’édition numérique.

Le numérique permet des apports qui sont sans commune mesure avec l’édition sous forme imprimée et dans la tradition française, il est important que l’auteur ait son mot à dire sur la forme sous laquelle son œuvre sera diffusée. Le bon à diffuser numérique garantit que l’auteur sera toujours associé au travail d’enrichissement numérique de son œuvre et cela me semble plutôt une bonne chose. Le contrat d’édition n’est pas un blanc-seing accordé à l’éditeur pour disposer de la matière première fournie par l’auteur. Dans le cas des livres-applications que vous citez, le résultat final peut se rapprocher davantage d’un jeu-vidéo que d’un livre numérique et on est alors presque alors dans une forme d’adaptation de l’œuvre. Cela me semble normal que l’auteur puisse avoir son mot à dire en la matière et même qu’on lui réserve une sorte de « final cut » sur ce genre de modifications.

Est-ce que cela dévalorise pour autant les auteurs des enrichissements numériques ? Il me semble que si le projet d’édition numérique consiste à produire des apports vraiment substantiels par rapport au simple texte, alors ces auteurs doivent être considérés comme des co-auteurs à part entière du livre numérique final. Mais cela doit être pris en compte dès l’origine du projet dans le contrat d’édition. Quelque part là encore, on va se retrouver avec des situations proches de celle que l’on rencontre dans la cadre du jeu vidéo (dont le régime juridique est d’ailleurs encore assez flottant, notamment quant à la reconnaissance des apports des différents intervenants).

Maintenant pour en revenir aux propositions de la mission Sirinelli, je trouve qu’il y a quelque chose de paradoxal à avoir donné un pouvoir fort à l’auteur avec le bon à diffuser numérique, tout en maintenant le principe d’un contrat unique pour l’imprimé et le numérique. Si l’édition numérique est susceptible d’apporter des modifications substantielles à l’œuvre (ce que reconnaît le bon à diffuser numérique), alors il aurait été plus logique de la considérer comme une forme d’adaptation des œuvres et, comme en matière d’adaptation audiovisuelle, de prévoir un contrat nécessairement séparé.

Cela aurait été à mon sens bien plus protecteur pour l’auteur et plus conforme à la nature de l’édition numérique, qui va sans doute produire de plus en plus des objets très éloignés des simples livres « homothétiques ». 

(source : http://blog.sanspapier.com/les-interviews-du-numerique-calimaq-aka-lionel-maurel-juriste-et-bibliothecaire/)

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mai 10, 2013

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