Une prophétie narrative est un élément symbolique qui, placé au tout début du récit, en préfigure la fin. Par exemple, au début de « L’étoile Mystérieuse », bande dessinée de Hergé, Tintin voit dans le télescope du laboratoire du Mont Palomar une araignée géante. Si celle-ci, déformée par la lentille grossissante du télescope, s’avère être de proportion normale. On la retrouvera néanmoins sous une taille gigantesque quand Tintin la rencontrera en explorant l’astéroïde flottant sur l’océan arctique.

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Le même schéma opère dans « Monsieur Verdoux », film réalisé par Charlie Chaplin en 1947. Les premières images du film montrent un cimetière. Une voix off prend alors la parole et dit :

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« J’étais un honnête employé de banque jusqu’à la crise de 1930, date à laquelle je me retrouvai au chômage .

J’entrepris alors de liquider des sujets du sexe opposé. Il s’agissait d’une affaire strictement commerciale destinée à nourrir une famille. Mais la carrière de Barbe bleue n’est pas rentable. Seul un optimiste forcené s’y risquerait. Hélas, ça a été mon cas… ».

 

Dans l’un ou l’autre des cas, une histoire et son ton (prophétique pour « l’étoile mystérieuse », tragi-comique pour « monsieur Verdoux ») sont racontés à son spectateur dès ses premiers instants. Pourquoi ? Ne peut-on pas laisser au spectateur le soin de découvrir toute l’histoire, sa saveur, ses personnages et son ton au lieu de lui dévoiler l’essentiel de sa forme et de son contenu séance tenante ?

 

D’emblée, ce qui vient à l’esprit, c’est de se dire que le spectateur a besoin d’une façon ou d’une autre de cet appel du pied. Le spectateur doit comprendre l’histoire en une image avant de s’y aventurer, d’une part, et l’auteur a besoin de s’assurer que l’histoire puisse être comprise en une image, d’autre part. C’est un pacte entre les deux participants de l’histoire, où chacun assure à l’autre avoir bien compris ses besoins.

 

Mais est-ce si important que l’histoire puisse être comprise en une image ? L’histoire d’un personnage n’est-elle pas avant tout une succession d’images, qui d’une situation initiale va vers un élément perturbateur, puis, de péripétie en péripétie, fait que le personnage s’en trouve grandi ? Vouloir condenser toute cette complexité en une image, en un bref discours, ne serait-ce pas la réduire ?

 

Au contraire, je pense que la prophétie narrative a beaucoup plus vocation à indiquer une direction, qu’à résumer l’histoire qu’elle ouvre. La prophétie narrative, c’est Monsieur Loyal, qui, avant chaque numéro, en annonce la teneur à l’aide d’un discours piquant et dont les mots reflètent le mystère du cirque. La prophétie narrative, c’est l’auteur qui s’immisce l’air de rien dans son œuvre et propose quelque chose de beaucoup plus ingénieux qu’un simple synopsis tel qu’on peut le trouver dans les programmes télévisés.

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février 8, 2014

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